l'expérience

L'expérience

Expérience non-scientifique d'introduction du séquoia géant au Québec.

Quand l'idée m'est venue de planter des séquoias au Saguenay, un lieu me trottait déjà en tête: la rive sud du Bas-Saguenay. Commençait alors une course aux renseignements sur Internet au sujet des conditions normales et extrêmes de culture pour vérifier s'il y a l'ombre d'une chance qu'un séquoia survive dans cette région. Ma conclusion: ombre il y a. Ça c'est l'hypothèse.

Le but est de démontrer que le séquoia peut ou ne peut définitivement pas pousser au Saguenay, constituant une donnée importante pour ceux qui voudront tenter l'expérience ailleurs au Québec. Dans le cas où l'expérience s'avérerait positive, les graines produites par le ou les survivants pourraient éventuellement constituer le début d'une lignée résistante au froid. Évidemment, c'est le but ultime.

Comme l'indique le point rouge sur la carte des zones de rusticité du Québec, le lieu zoné 3b se situe à la croisée des zones 3a et 4a. Le Bas-Saguenay subit tantôt les influences des systèmes longeant le Saguenay en provenance de l'Ouest, tantôt des systèmes longeant le Fleuve St-Laurent. Pas étonnant qu'il y ait autant d'accumulation de neige puisque les tempêtes de l'ouest comme du sud-ouest frappent généralement la région, tombant sous forme solide à cause des températures légèrement plus froides qu'à Québec par exemple.

Janvier est le mois le plus froid avec un maximum moyen de -9,9 et un minimum de -19,5. Le minimum extrême de -40 a été enregistré en 1976. Les minimums extrêmes récents sont de -36,5 en février 1993 et de -34,5 en mars 2001. Vous comprenez pourquoi c'est zoné 3b.

Dans de telles conditions, pourquoi essayer d'y cultiver un arbre qui pousse normalement dans une région où le climat avoisine le zéro tout au long de l'hiver?

Les expériences montrent que le séquoia peut réagir de façon étonnante aux conditions extrêmes sans que nous n'ayons mis exactement le doigt sur ce qui permet ou entrave la survie du séquoia. L'article qui m'encourage le plus à tenter l'expérience vient du National Park Service de Sierra Nevada. Un texte que tous les passionnés de séquoias devraient lire, du moins ceux qui lisent l'anglais.

Voici l'adresse The Giant Sequoia of the Sierra Nevada

C'est cet extrait du chapitre 3 qui me convainc le plus. (Malheureusement seulement en anglais)

«We know little of how winter cold affects sequoia distribution. While the tree is not nearly as frost-hardy as other tree species associated with it, this seems to pose little problem for it within its native range. Winter temperatures in the groves seldom reach 0°F and when such lows do occur, deep snow usually covers and protects the tender young seedlings. Temperatures in the intervening drainageways often fall to zero and below, especially when the stream's headwaters are on the slopes of high mountain peaks. The confusing part of the temperature relationship is that specimens planted in the eastern part of the United States are severely frost-bitten or killed by temperatures no lower than -15°F Yet, in Europe, specimens not only have survived this temperature, but are surviving in Poland, Austria, and Hungary where it has dipped to as low as -32°F Possibly the differences between the two continents lie in the soil's condition at time of death. In the Sierra, generally at least 3-6 ft of snow, and occasionally much more, protect the soil. Schubert (1957) records snow 29 ft deep in the Giant Forest during the winter of 1905-06, with isolated drifts still 12 ft deep in the early part of summer.

Soil type is probably less a controlling factor in the present distribution of sequoia groves than many earlier writers realized. Sequoia groves are mostly on granite-based residual and alluvial soils. Three groves are on glacial outwash, one is on metamorphosed basalt, and parts of others are on soils derived from schistose rock. Soil texture, however, does not vary much. Soils, generally very sandy, are low in their clay fraction, which nevertheless plays the most significant role in nutriment retention. Furthermore, we should point out that sequoias cultivated in various parts of the world are growing vigorously in clays, gravels, peaty soils, and even alkaline desert soils in Spain, all drastically different from soil types in their native Sierra Nevada. Soil type alone apparently has insignificant influence on the distribution of these trees.»

Henry Allan Gleason et Arthur Cronquist vont dans le même sens dans leur livre The Natural Geography of Plants. J'ai publié l'extrait pertinent sur mon blogue dans le billet Le séquoia et l'hiver froid.

Il ressort donc de cette étude que certains séquoias meurent au froid et d'autres non, sans que nous sachions vraiment pourquoi. Dans le Bas-Saguenay, le froid sera peut-être compensé par le tapis de neige fiable, qui ne fond jamais de l'hiver une fois installé. La moyenne de couverture de neige est de 59 cm en janvier et 77 cm en février. Le record le plus récent est de 192 cm en février 1997. Et cet hiver 2008, croyez-moi nous sommes facilement à 120 cm.

Cet épais tapis de neige jouera un rôle très important dans la survie des racines du séquoia. Environnement Canada nous donne un exemple très instructif : «la neige est un excellent isolant thermique qui limite la pénétration du gel dans le sol à de grandes profondeurs. Par exemple, à Goose Bay (Labrador), la température de l'air moyenne du mois de janvier atteint -16,4 °C, tandis que la température du sol enregistrée à 5 cm sous la surface ne dépasse pas -2,1 °C. Cet écart de plus de 14 °C est imputable à l'effet isolant de la neige». Or le séquoia est connu pour avoir enduré des températures au sol beaucoup plus basses.

Les séquoias seront plantés dans une vallée profonde qu'un glacier et/ou la petite rivière a creusée dans le plateau de granite. La vallée est parcourue par deux petites rivières et d'innombrables ruisseaux affluents. Le type de végétation change rapidement selon l'altitude, les coupes forestières antérieures, le type de sol et l'accès au soleil.

La région est une sous-zone de la forêt mélangée, domaine de la sapinière à bouleau jaune. En gros on y retrouve du boulot blanc, du peuplier, du sapin baumier, de l'épinette, du mélèze, du pin, de l'érable et du boulot jaune. Il y aurait même quelques frênes qui traînent un peu plus loin dans une vallée perdue, mais je n'en ai jamais vus. Les arbres les plus impressionnants là où je planterai les séquoias sont sans-contredit les boulots jaunes dont certains spécimens dépassent facilement les cent ans. L'avantage, c'est que nous avons coupé beaucoup d'arbres ces deux dernières années pour faire du bois de poêle et que le côté ensoleillé de la vallée se trouve maintenant dégagé et près à recevoir les nouveaux-nés originaires de la Californie. Le terrain est en pente et traversé par un ruisseau à demi-souterrain, les endroits bien drainés ne manquent pas et cette vallée dans la vallée est à l'abri presque complet du vent.

Cette vallée dans la vallée n'est pas le seul endroit visé. Pour maximiser les chances de réussite, des séquoias seront plantés dans tous les types de terrain à diverses altitudes. J'ai le projet de planter environ 100 séquoias par année qui auront 1 an ou 2. Évidemment, si tous les séquoias meurent pendant les trois ou quatre premières années, je mettrai probablement un terme à l'expérience.

Comme je veux expérimenter tous les extrêmes, 7 séquoias âgés de 6 semaines ont été plantés l'automne dernier. En voici quelques-uns.